Comité de Soutien à la Révolution en Inde


India’s daughter censuré: Ce que l’Inde ne veut pas voir des viols by CSR Inde

Une manifestation en mars 2014. REUTERS/Adnan Abidi

L’Inde a interdit la diffusion d’un documentaire sur le viol collectif dont avait été victime Jyoti Singh et qui lui avait coûté la vie en 2012. Prétendûment parce que certaines images pourraient encourager les violences faites aux femmes. Or ce film dévoile les racines de la violence en Inde en exposant le fossé qui sépare les pauvres des classes moyennes.

C’est un lugubre rond de lumière qui suit un bus filant à vive allure sur une rocade de Dehli. L’image est en noir et blanc, bruitée, filmée en plongée. Une date est marquée dans un coin: le 16 décembre 2012 –le jour d’un crime odieux qui allait bientôt indigner le monde.

Si rien n’est montré, nous, les spectateurs, savons ce qui se passe dans ce bus à la course monotone. Une femme est à l’intérieur, plaquée au sol, dans le noir et elle appelle à l’aide, cinq hommes sont en train de la violer et de l’éviscérer. Ses blessures seront si graves que Jyoti Singh, 23 ans, mourra 13 jours plus tard. Le médecin qui la prendra en charge à l’hôpital se dira ébahi qu’elle ait même pu survivre si longtemps –à l’intérieur de son corps, plus rien ne faisait sens, tout avait été détruit.

Ces images proviennent en réalité de caméras de vidéo-surveillance en activité ce soir-là –et sont issues d’un terrible nouveau documentaire, India’s Daughter, qui, à travers de longues interviews des coupables, de leurs familles, de la famille de Singh et de divers experts en droit ou en sociologie rassemble les pièces d’un remarquable tableau analysant non seulement ce crime, mais ses répercussions culturelles et judiciaires, conséquences dont ce film fait aujourd’hui partie inhérente.

A l’écran, ce schisme devient palpable dans les scènes où la violence de l’acte est décrite par les pauvres (les coupables et leurs familles) puis, en miroir, par les mieux financièrement lotis (la famille de la victime, des représentants de la police, du gouvernement, du système judiciaire).

J’ai l’impression que le pays vit toujours en 1950 dans sa façon de traiter les questions sociales que le mettent mal à l’aise

Le clair-obscur est saisissant: les coupables et leurs familles (et leurs fiers-à-bras d’avocats) disent sans la moindre ambiguïté que la place des femmes est à la maison, pas à baguenauder la nuit au cinéma en compagnie d’hommes qui ne sont pas de leur famille, comme le faisait Jyoti Singh le soir de son agression –leur misogynie a déjà été largement commentée dans les médias.

A l’inverse, la famille de Jyoti Singh explique comment elle a nourri ses ambitions –le père avait dit à sa fille qu’elle pouvait devenir juge, comme son propre frère, et paiera ses études de médecine pour qu’elle devienne kinésithérapeute. Jyoti Singh, comme l’explique une spécialiste de l’Asie du Sud, Myra MacDonald, était «une femme qui avait essayé d’échapper à sa classe». Le genre d’évolution féminine qui, dans une culture hiérarchique et patriarcale, n’est pas bien tolérée.

Mais même dans un tel contexte, l’Inde se sera démenée pour qu’on la considère non seulement comme un endroit où la violence envers les femmes est endémique et reste le plus souvent impunie, mais où la dénonciation de ces crimes devrait être interdite.

Au lendemain même de l’agression, de grandes manifestations pacifiques allaient rapidement dégénérer lorsque la police chargera la foule avec des canons à eau et des gaz lacrymogènes. Un premier message, et un message clair, disant que l’expression d’un mécontentement face au gouvernement et à sa manière de s’occuper des violences sexuelles ne pouvait être tolérée. Que c’était une honte de vouloir montrer au monde la honte du pays. Une entreprise de silenciation qui ne faisait que commencer.

Un nombre extraordinairement élevé d’agressions

La diffusion d’India’s Daughter était initialement prévue sur BBC 4 pour le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, mais a été avancée de quatre jours après que les autorités indiennes ont décidé de l’interdire de programmation sur leur territoire, et ont même réussi à faire retirer le film de YouTube. YouTube était obligé d’obtempérer, car la plateforme doit se conformer aux lois locales –le film est néanmoins disponible sur le site de la BBC 4 (pour les internautes du Royaume-Uni).

«A mon avis, c’est très bête de la part de l’Inde de croire qu’ils peuvent arrêter la diffusion d’une vidéo à notre époque», affirme Bob Dietz, coordinateur pour l’Asie du Comité pour la protection des journalistes (CPJ).

«J’ai l’impression que le pays vit toujours en 1950 dans sa façon de traiter les questions sociales que le mettent mal à l’aise.»

Dans sa Constitution, l’Inde protège la liberté d’expression –mais pas quand elle menace l’ordre public, la sûreté de l’État, la décence ou encore la moralité.

«Il s’agit d’une politique profondément contradictoire, qui ne résout pas vraiment les problèmes sous-jacents, mais réussit, dans une certaine mesure, à étouffer le débat public.»

Un débat pourtant cruellement nécessaire dans un pays souffrant d’un nombre extraordinairement élevé de défigurations à l’acide, d’infanticides féminins et de femmes victimes de violences sexuelles.

Le ministère indien de l’Information et des médias a justifié son interdiction en affirmant que certaines scènes du film «semblent encourager et inciter à la violence envers les femmes». Mais Bob Dietz n’est pas dupe. Historiquement, l’Inde a souvent fait usage de la censure «afin tuer dans l’œuf d’éventuels troubles sociaux», explique-t-il.

Et comme pour rendre encore un peu plus abscons cet argument initial, le 4 mars, le ministère indien des Affaires domestiques faisait valoir une liste de raisons techniques supplémentaires à la censure de ce film, en affirmant notamment que son propos contrevenait aux accords passés entre l’équipe du film et les autorités pénitentiaires lors des interviews menées avec les auteurs des faits.

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India’s daughter: le documentaire de la BBC censuré en Inde by CSR Inde

https://dailymotion.com/video/x2jfufp

C’est notamment pour avoir voulu projeter ce film à ses élèves que le professeur Sandeep Pandey a été licencié.